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Europe 4 Space WebLog
20 décembre 2005

Un Conseil ministériel ESA bien gris ...

Un Conseil de transition qui entend faire acheter européen à des partenaires dénués de Vision commune.

Par Nicolas Turcat, Président de la NSS France.

Alors que le Conseil de l’ESA au niveau ministériel se réunissait à Berlin les 5 et 6 décembre  2005 pour décider notamment de l’avenir de l’Europe spatiale ces trois prochaine années, les menaces sur l’industrie du même secteur n’ont jamais été aussi présentes.

Depuis quelques mois, il est de notoriété publique de dire que ce Conseil n’apportera rien (l’idée du Conseil de transition est alors évoqué) et ne sera qu’un compromis minimum sur la politique spatiale à moyen terme. L’Europe sur ce point fait fausse route. Nous le ne répéterons jamais assez, mais des lignes directrices doivent être trouvées, soutenues politiquem ent et souscrites budgétairement.

Que fera t’on d’ici 5 à 10 ans ? C’est la grande question à laquelle nous nous devons de répondre si l’on aspire à quelques ambitions spatiales.

Un projet ! Une vision politique !

Pour une fois, nous allons commencer sur une note positive avec l’intervention de M. Roger-Maurice Bonnet (président du Cospar) lors d’un colloque organisé en novembre par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) à propos de l’avenir de la politique spatiale européenne que nous ne pouvons que féliciter : ‘’Les décisions stratégiques d’aujourd’hui détermineront le futur dans 20 ans. Aux USA, l’Espace est considéré comme élément politique stratégique. L’Europe devrait tirer la leçon de cet exemple et se doter elle aussi d’un but politique et stratégique ! D’un projet ! Car sans Vision politique, sans le soutien financier nécessaire, sans une communauté scientifique active et présente, sans l’industrie, l’espace européen risque de disparaître et l’Europe ne pourra être que dominée !’’. Outre le caractère évidemment provocateur, mais nécessaire, de la déclaration de M. Bonnet, la situation spatiale européenne est bien résumée et plus que préoccupante. Rappelons que depuis 2003, plus de 4000 emplois ont été supprimés dans le secteur spatial en Europe et la situation, entre 2006 et 2008, risque d’empirer selon le journaliste d’Air et Cosmos M. Lardier (N°2005, 11 novembre 2005, page 37).

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Une conjoncture minable et un Conseil bien gris

Alors que le Conseil de Berlin était censé déboucher sur une révision des perspectives de l’ESA à long terme, il semble se dégager de plus en plus un consensus mou en faveur de programmes déjà engagés. Les incertitudes concernant l’ISS, les vols habités, Clipper ou le FLPP, sont d’autant plus préoccupantes que le Conseil de Berlin ou le Conseil Espace commun de l’ESA et du conseil de compétitivité de l’UE ne semblent rien donner sur ces sujets. En effet la France, l’Allemagne et l’Italie, engluées dans une conjoncture politique négative pour toutes propositions (élections en Italie et en France d’ici un à eux ans, transition et rigueur du gouvernement Merkel en Allemagne) rechignent à s’engager sur la voie des politiques spatiales habitées plus ambitieuses. Nous pensons, en dépit de ce fait, qu’un contexte ne peut faire une politique de manière générale. Aussi, nous comprenons la difficulté à bâtir une Vision commune avec 17 membres mais nous pensons que ce prérequis est fondamental pour la compréhension et le soutien (implement and sustain) d’une politique spatiale européenne plus ambitieuse.

L’ISS, et les vols habités.

De plus le problème récurrent depuis 3 ans avec les Américains à propos de l’ISS et des vols de navettes deviennent véritablement problématiques. Songez que l’Allemagne consacre 300 millions d’euros à maintenir sous cocon le module Colombus à Brême ! Méditez aussi sur le fait que ce même pays veut que l’on consacre 650 millions aux capacités opérationnelles liées à la Station spatiale Internationale. Et songez surtout que cela ne durera pas indéfiniment ! Alors que l’Allemagne et l’Italie ont finalement et durement accepté la hausse de 2,5% (proposée par M. Dordain à Berlin) consacrée aux programmes obligatoires c’est-à-dire scientifiques, et qui ne permettent même pas de soutenir les projets en cours (tout juste capable d’enrayer l’inflation naturelle prévue). La position de la France n’est pas plus envieuse. Nous pouvons lire dans les récentes déclarations de M. Goulard que ce dernier dit ne ‘’pas vouloir rester dans l’attente’’ du retour en vol de la navette et ne veut désormais ‘’plus financer l’opération’’ ! Si nous comprenons le fait de ne pas rester dans l’attente, nous voyons ici clairement les ambitions de la France en matière de vols habités se restreindre de façon drastique et systématique depuis quelques années (depuis 1992 ?)... Alors que répondant au question d’Air et Cosmos, l’actuel ministre de la Recherche (Air & Cosmos N° 2008, 2 décembre 2005, Page 27) répondait que ‘’la politique française en matière de vols habités s’appuie sur les programmes de l’ESA, aujourd’hui en grande partie liés à l’avenir de l’ISS’’. Le CNES a abandonné ici encore ses ambitions en matière de vols habités. Remarquons que ce n’est pas plus mal (au moins, l’honnêteté du propos est à relever), puisque nous pensons que seul le niveau européen peut désormais être un levier suffisamment efficace en matière de larges programmes de R&D. Pourtant la position de la France en matière de vols habités, symboliquement représentée par M. Goulard troquant la politique des lanceurs à l’ISS, est une rupture qui marquera sombrement les prochaines années. Il faudra pourtant chercher les impulsions dans les pays membres et c’est ici que le bât blesse notamment pour la la France. Pis, et dans le même style, ni la France, ni l’Allemagne ne semblaient vouloir apporter de soutien concret ce lundi 5 décembre au projet d’avion spatial Clipper. Finalement, l’avion spatial Clipper proposé (à hauteur de 50 malheureux millions d’euros pour 3 ans) ne ramassera que 4 voix en sa faveur et est repoussé pour une éventuelle décision en 2008. Autant dire, que le projet est mort …Et ce malgré les quelques déclarations post-traumatiques de cette dernière semaine. Puisque l’intérêt du projet tenait dans sa rapidité d’exécution afin de combler le gap technique entre 2010 et 2015. Si nous comprenons le soutien industriel légitime de l’Europe spatiale à l’ISS (que nous avons déjà justifié dans ces colonnes), nous pensons qu’il est désormais temps de faire des choix et de se fixer des priorités quant aux les vols habités : et ce au delà du simple docking d’un module. Le mardi 6 décembre, le consensus était acquis pour l’ISS (et les lanceurs d’un autre coté) et son enveloppe de 650 millions d’euros de frais jusqu’en 2008 en échange d’un troc évident entre la résolution ‘’Buy European’’ et le maintien de la ligne budgétaire de l’ISS.
L’exploration spatiale de l’ESA ne peut se résumer qu’à un programme robotique (Mars Lander) et à une hypothétique coopération avec les Russes (les Japonais sont aussi désormais évoqués !) sur Clipper. Les bonnes nouvelles sont pourtant les suivantes : le FLPP devrait bénéficier d’une hausse de budget (mais insuffisante à notre goût) à hauteur de 0,3 milliard d’Euros et la résolution d’acheter européen fut acquis par le Conseil de Berlin. Ce dernier que Daniel Sacotte qualifie ‘’de transition’’ … Transition, mais vers quoi ?

Une Union trop frileuse ?

À propos des relations entre l’Union européenne et l’ESA, nous soutenons toujours autant un partenariat plus fort entre les deux institutions. Cependant, il faut noter que la focalisation sur GMES et Galileo faite par l’UE est trop réductrice dans sa portée effective. Si ces deux programmes doivent être montés sans aucun doute, le manque d’amplitude et d’engagement plus stratégique de l’UE concernant sa propre politique spatiale pourrait faire perdre toute efficacité politique. En effet, alors que Galileo et son opérabilité semblent repousser de plus en plus vers 2011 et que GMES peine à s’imposer aux vues des ‘’dangereuses’’ perspectives financières de l’UE entre 2007 et 2013, il convient, là aussi, de faire des choix politiques. Notons de façon positive, mais hors programme (puisque financé par le 6ème PCRD), le programme SURE qui permet aux PME des nouveaux Etats membres d’accéder à la recherche scientifique et industrielle sur la Station Spatiale industrielle.


Des principes évoqués à l’efficacité réelle : the European gap …

Concernant la résolution ‘’Buy european’’ proposée par l’ESA, nous ne pouvons qu’être d’accord et aller dans le sens de cette proposition qui pousse le principe de solidarité européenne à son paroxysme (sous l’influence des industriels européens qui se plaignaient des risques de baisse des marchés institutionnels). Si le principe d’acheter européen est intéressant, il est néanmoins illusoire de vouloir l’imposer sans une vision politique sous-tendue qui fixe des buts précis. Occasionnant un deal improbable entre les Français, Allemands et Italiens entre la Résolution ‘’d’acheter européen’’ et le maintien de la ligne budgétaire dédiée à l’ISS à 650 millions d’Euros, le marchandage peut paraître douteux du simple point de vue. Programmatique. Finalement, nous partageons l’avis d’acheter européen mais pour aller où ? Pour faire quoi ? Néanmoins, et dans ce cadre, l’implantation du Soyouz à Kourou nous semble toujours aussi paradoxale, surtout avec l’affirmation de l’indépendance de l’Europe spatiale affichée ces derniers jours par nos responsables spatiaux européens, et ce même dans la perspective où ce lanceur soit opéré, directement ou pas, par Arianespace ! La NSS France se place dans une perspective strictement économique au sens productif du terme : la création de potentiel d’activité doit primer. L’intégration de ce lanceur ne nous semble toujours pas efficace pour les intérêts de l’industrie spatiale européenne. Alors que l’on parle d’aller vers plus d’autonomie et de soutenir sa propre technologie, nous préférons vous rassurer : l’acquisition du Soyouz dans le cadre d’éventuels vols habités à Kourou, ne nous garantira aucune autonomie, ne soutient en aucun cas notre propre technologie (le Soyouz a presque 40 ans !) et ne permettra aucunes nouvelles perspectives dans les vols habités. Le ‘’constructeur’’ du Soyouz restera en Russie, car ce pays entendra avoir de nouvelles ambitions stratégiques dans les années à venir – Il suffit de voir la hausse de 160 % du budget spatial qui passe ainsi à 200 millions d’euros. Dans tous les cas, l’affirmation par Jean-Yves le Gall d’Arianespace de maintenir des mystérieuses ‘’conditions d’exploitation équilibrée’’ entre Ariane 5, Vega et Soyouz débouche sur une solution commerciale qui ne tient pas compte de l’efficience stratégique d’une telle politique sur le long terme. Nous pensons qu’il y a là aussi une contradiction majeure, tout comme il peut y en avoir avec la coopération dans Clipper.
Au vue de l’évolution du discours (prise en compte positive du thème de l’autonomie spatiale européenne) au cours de ce Conseil de Berlin, nous pensons qu’il est temps de nous fixer des priorités hors du cadre traditionnel. Le bilan plutôt négatif de ces 5 dernières années en Europe nous impose de réfléchir à de nouvelles perspectives spatiales. Sans êtres révolutionnaires, nous pensons qu’une démarche par étape (comme nous l’avions proposé avec nos 15 propositions sur 5 ans) est la meilleure stratégie à mettre en œuvre. Il ne peut avoir d’autres solutions si l’on travaille dans le cadre actuel. Nous pensons même qu’il n’y aura pas de solutions brillantes ou étincelantes mais plutôt des étapes toutes plus efficaces les unes des autres. Dans ce cadre là, il serait concevable de réutiliser des concepts en vogue à l’heure actuelle comme le principe ‘’d’acheter européen’’ ou ‘’d’autonomie de l’Europe spatiale’’ : principes et concepts déjà défendu dans nos colonnes. La problématique est donc bien politique : celle d’une vision claire et suffisamment ambitieuse pour porter les défis de l’Europe.

Faire des choix.

Nous pensons qu’il faut aussi s’affranchir de toutes références programmatiques ou politiques avec les USA. Si ceux-ci doivent rester des partenaires privilégiés (comme les Russes par ailleurs), ils ne peuvent pas constituer un frein, voir un blocage net, comme c’est le cas actuellement.  Nous ne pouvons copier ou suivre les Américains et la NASA indéfiniment. Les dommages en matière de politique spatiale européenne de ces 30 dernières années peuvent sembler en partie imputables à la NASA (aléas du Congrès US vis-à-vis de l’ISS dans les 80s/90s et maintenant le Return to Flight) mais en réalité, il faut plutôt trouver les coupables dans notre camp qui n’ont pas su proposer des politiques programmatiques clés suffisamment fortes et implantées pour pouvoir faire infléchir le destin des vols habités. Désormais, il est temps d’être capable de proposer des priorités suffisamment judicieuses et ambitieuses, s’y tenir les financer, et mettre d’accord l’Europe sur un programme commun, quitte à revoir les fondements de l’Europe spatiale. De plus, si l’implication de l’Union Européenne (grâce au 6ème et 7ème PCRD) est louable, il faut dépasser la logique ‘’citizens user driven’’ pour ajouter des compétences à ce programme de R&D, au même titre qu’ ITER ou tout autre programme technologique. Cet ajout de compétence pourrait par exemple prendre en charge, partiellement ou pas, le FLPP ou toutes autres structures spatiales fondamentales à l’accès autonome à l’orbite.
Remarquons, et félicitons une initiative de l’Union Européenne : Le programme SURE financé par la Commission Européenne dans le cadre du 6ème PCRD et lancé la mi-novembre permet aux petites et moyennes entreprises des nouveaux Etats-membres d’utiliser la station spatiale internationale à des fins de recherches et industriels. Ici, la fabrication d’un tissu industriel efficace dans le cadre de la construction européenne, est mise en valeur l‘utilité des vols habités. C’est par cette voie innovante que se construira l’Europe spatiale et l’implication politique de la Commission dans une stratégie spatiale plus globale : nous nous en félicitons. Mais l’urgence de la situation actuelle impose des innovations, et défendant une politique spatiale habitée européenne plus ambitieuse, nous ne pouvons que proposer de nouvelles priorités et de nouvelles étapes. La sauvegarde des avantages acquis ne peut faire une politique. Assurer 95% des propositions de l’exécutif de l’ESA ne peut être une politique en soi, puisque le seul programme quelque peu en dehors de la norme, Clipper, n’a suscité que 4 bras levés lors du vote … La période de transition doit se terminer dans tous les cas en 2008 et le retard accumulé, alors, devra être  contrecarré rapidement. Le choix minimum de soutenir les lanceurs dit européens est une solution facile qui mérite pourtant que l’on se réjouisse de la compréhension de certains principes comme l’autonomie stratégique à acquérir ou que l’on félicite le fait de financer à hauteur de 650 millions d’euros les programmes liés à l’ISS jusqu’en 2008. Des choix supplémentaires, réalistes et plus ambitieux sont réalisables et permettraient de sauver la situation d’ici là. Faisons les efficacement.

Nicolas Turcat
Président de la NSS France

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