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Europe 4 Space WebLog
27 février 2004

D’une certaine réalité financière à une volonté politique !

Certaines réalités financières sont bien concrètes et la National Space Society France en est tout à fait consciente. Nous ne pouvons pas cependant nous arrêter à cette étape. Trop de personnes pensent qu’un état de faits existe et que ce dernier est immuable. Le débat récent rencontré pour Soyouz à Kourou est exemplaire sur ce point. Même si l’ESA n’envisage pas officiellement faire du Soyouz un véhicule habité, le vrai problème semble être financier. En effet, il a été avancé dans ces discussions que le choix de Soyouz pour les vols habités serait guidé par une politique budgétaire de rigueur ! Il n’y a pas d’argent pour faire une Ariane V man-rated. Il serait illusoire de vouloir envisager un projet comme ce dernier qui pourrait se chiffrer entre 6 à 9 milliards d’euros alors que le développement, éventuel, d’un Soyouz habité coûterait au moins dix fois moins cher ! Le choix est donc fait, non pas d’un point de vue technique mais d’un point de vue budgétaire et financier. Il n’y a pas de volonté politique pour le faire.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />

 

La volonté semble donc bien être le problème qui nous tue depuis 15 ans, en Europe. Des contraintes budgétaires qui sont intiment liées à la volonté de chaque décideur au sein des agences et gouvernements. La volonté et l’ambition de voir l’Europe se doter d’un lanceur indépendant se sont trop souvent transformées en dogmes financiers bloquant tous projets qui risquent de ‘’coûter’’ ! Ceci n’est pas démocratique, a contrario de ce qui a été avancé ! Il serait donc anti-démocratique de proposer une Ariane V habitée ! Que cela ne reflèterait pas l’avis de la population qui préférerait voir voler plus souvent des Soyouz à Kourou (Qui dans notre pays est au courant de ce programme ? ;-) ou voir des initiatives comme X-Prize en France. Le populisme consiste à se réclamer du peuple et de ses aspirations profondes. On peut donc comprendre le fait de défendre une Ariane V habitée comme une preuve d’élitisme démesurée complètement déconnectée de la réalité et des aspirations de la population.

 

Un Homme politique reflète, certes, la population mais se doit, surtout, d’apporter un projet porteur d’avenir pour sa Société. Or, dire que nous faisons Soyouz à Kourou car c’est ce qu’attend le public, cette affirmation est aussi populiste que de dire qu’il faille stopper les impôts car 70 % de la population trouvent que ces derniers ne servent à rien ! Gouverner à l’aide de relevés d’opinions nous rappellent tellement le sombre résultat d’un certain dimanche 21 avril 2002. Il serait plus juste de dire que les priorités des gouvernements ne sont pas de mettre 8 milliards d’euros sur la table afin de pouvoir qualifier en vol habité notre lanceur. Tout comme il ne semble pas dans nos priorités de financer correctement la Recherche ou l’Armée de façon suffisamment innovante… Mais revenons à un débat strictement politique et plus seulement d’un point de vues de spécialistes qui se chamaillent pour savoir si tel ou tel programme est envisageable. Nous sommes pourtant conscients que toutes les solutions avancées (dans les 15 propositions ou ailleurs) sont réalisables, il n’y pas de barrières technologiques nous empêchant d’aller plus loin… Tout comme Hermès dans les années 80s fut sûrement bloqué, en partie, par les choix pris sur les développements techniques d’Ariane V – Hermès ne semblait donc pas chimérique, c’était, là encore, une question de volonté : il fallait alors développer une Ariane V avec des coûts minima et miser sur une fusée plus commerciale qu’habitée. Remarquons que les projets de corps portant ou d’avion spatial sont toujours à l’étude de nos jours (aux USA – OSP ou CEV, ainsi qu’au sein même de l’ESA – Cf. Air et Cosmos N°1922). Dans un autre registre ; Il fut une époque ou nous avons fait des choix coûteux pour acquérir une force de frappe nucléaire. Il s’agit aujourd’hui de faire les même choix pour l’Espace. Lorsque nous consommons quasiment 10 % du budget de la Défense dans une force de dissuasion qui est très discutée à l’heure actuelle au sein même de l’Armée. Cela représente des milliards d’euros, mais un choix est fait ; il y a la volonté par le pouvoir politique d’entretenir cet arsenal. La même volonté devrait exister pour le vol habité et ainsi que pour des projets européens porteurs d’avenir.

 

Le but même de l’Homme Politique n’est donc pas de satisfaire la masse de la population mais de proposer des projets concrets et suffisamment ambitieux à nos concitoyens pour que l’on puisse croire en cette personne. Nous n’élisons pas un personnage car il a flatté nos quelques intérêts locaux mais parce que nous croyions profondément que ce dernier changera les choses ou que son programme en vaut la peine. L’Homme Politique se doit d’être le reflet du peuple mais est, avant tout, assigné au service du peuple souverain pour accomplir une mission pour laquelle nous l’avons élu. Il s’agit donc de définir le meilleur projet pour l’Europe spatiale. Mais nous entendons déjà les voix dissonantes nous rappeler qu’il n’y pas d’Europe politique : nous rétorquerons : à nous de la construire autour de projets ambitieux !! L’Europe s’est bâtie par étape grâce à des projets concrets, économiques ou pas, comme la CECA, la mort-née CED, Euratom ou plus tard à travers Concorde, Arianespace, Airbus ou Galileo bientôt (certes commerciales mais avant tout aussi volonté des gouvernants). A nous de nous battre pour que l’Europe continue sur ce chemin de plus en plus politique. Il est évident que l’Espace habité passera par la volonté de la communauté européenne de se construire un avenir tourné vers les étoiles. L’unification de l’Europe se fera sûrement grâce à des projets politiques et économiques concrets nés sur notre continent et exécutés par nos propres soins : Une Initiative Spatiale Européenne pourrait être un de ces projets. Il est d’autant moins démocratique de proposer Soyouz à Kourou pour le vol habité que ce projet remet en cause les raisons profondes d’accomplir une politique spatiale ambitieuse.

 

Le problème est éternellement le même : pourquoi voler dans l’espace ? Quel intérêt y a-t-il, en plus de constater que nous avons une planète bleue et que nous sommes si fragiles ? Il s’agit de se créer des nouveaux potentiels d’activités, et ouvrir notre sphère économique à de nouveaux horizons. Les retombées politiques, stratégiques, sociétales, scientifiques, industrielles ou autres seront grandes. Nous ne pouvons nier que les retours sur investissements requièrent du temps et surtout un certain courage politique pour soutenir ce genre de politique. La volonté de bâtir une Europe plus forte doit prévaloir dans les discussions actuelles. Or Soyouz à Kourou en configuration habitée n’est pas synonyme d’une volonté politique pour bâtir une Europe spatiale ambitieuse. C’est une solution d’appoint limitative et profondément injuste pour l’avenir des vols habités en Europe (ainsi que pour les industries aérospatiales de notre continent). Il n’est pas naïf de penser que nous pouvons faire plus avec des budgets plus ouverts. Rien n’est définit ; c’est faire preuve de son attachement aux dogmes d’une économie parfois trop entropique et de l’immobilisme. Certaines personnes reconnaissent même à l’ESA avoir les mains liées par des budgets réduits de jour en jour. Il en est question tous les jours dans nos journaux : faut-il investir plus loin ou utiliser nos ressources financières pour consolider notre fragile économie. Dans Le Monde du samedi 21 février, le journaliste économique reconnu Laurent Mauduit écrivait à propos des choix des sociétés de télécoms : l’argent est de retour, (…) cette filière s’apprêterait à dégager 140 milliards d’euros de free cash flow – des flux financiers disponibles ; selon l’auteur plus de la moitié irait éponger les dettes du passé. Mais que va devenir l’autre moitié ? Loin d’être utilisée dans les investissements dans ce secteur (UMTS ou ADSL), ce qui permettrait de réorienter une croissance saine dans ce secteur. Cette somme servira sûrement à des consolidations artificielles – c’est à dire des mariages qui vont sûrement alimenter la spéculation mais qui sur le plan industriel n’ont pas une forte rationalité. De cet exemple il convient d’en tirer trois conséquences : premièrement qu’investir dans l’innovation pourrait tirer une croissance plus saine pour un secteur précis. Deuxièmement qu’il existe de l’argent disponible dans un secteur qui se dit tous les jours de plus en plus restreint – il suffit pour cela d’écouter les commerciaux ou les forces de ventes des compagnies de télécoms pour les entendre se plaindre à longueur d’année. Il y a donc des flux financiers disponibles ! Enfin notons qu’il s’agit d’un choix et d’une volonté décisionnelle d’orienter l’argent là où il doit aller, il n’y a pas de fatalisme financier. Il y a donc deux politiques possibles : l’une créatrice de nouveaux potentiels d’activités pour ce secteur, l’autre prédatrice qui ne fait que vivre au jour le jour. Laurent Mauduit finit son article par ce paragraphe que l’on peut rapprocher, pour son exemplarité, au secteur spatial : Alors si la finance l’emporte toujours sur l’industrie, si la spéculation prime éternellement sur l’investissement, si l’Europe continue malheureusement de céder aux sirènes ultralibérales en démantelant méticuleusement tous les grands opérateurs constitutifs de ses anciens services publics et sans jamais – ou trop rarement -  parler de politique industrielle, on risque d’aboutir demain au même résultat qu’hier. Après l’ivresse boursière, ce sera la gueule de bois.

 

L’exemple des télécoms ne peut pas être exactement comparé au secteur spatial et particulièrement concernant l’espace habité (secteur très – trop ? – innovant), mais la logique économique, derrière ces processus, peut être mise en parallèle de façon symptomatique. Il s’agit encore une fois de volonté : investir plus loin ou consolider sa fragile assise ? Enfin notons que transparaît aussi la problématique fondamentale pour une politique spatiale habitée : bâtir une politique industrielle pour l’Europe !

 

Concernant une politique spatiale habitée ambitieuse, il s’agit donc bien de volonté et de choix politique économique et politique fort. L’Europe doit donc investir dans des projets concrets et suffisamment innovants pour qu’ils fondent une politique industrielle qui puisse tirer l’économie en avant de façon conséquente. Ce n’est plus seulement l’affaire de tristes spécialistes dans des agences mais une question hautement économique mais surtout politique.

 

Nicolas Turcat – Président de la National Space Society France
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