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Europe 4 Space WebLog
23 septembre 2005

En 2018 sur la Lune ? Un défi politique.

 

L’Exploration System Architecture Study (ESAS) de la NASA vient de publier son rapport final : ses recommandations sont claires : aller sur la Lune avant la fin de la décennie suivante. Notre satellite naturel est donc visé pour 2018 avec une capsule type Apollo trois fois plus grande, et pouvant faire alunir 4 astronautes pendant 7 jours. Le lanceur Saturn V est remplacé par 2 lanceurs consommables : Un booster du STS d’ATK pour la capsule (avec un puissant étage supérieur adapté aux spécificités du vol habités : le CEV), et un lanceur lourd transformé pour l’occasion en cargo. A nouveau, ce dernier est dérivé du STS puisque les moteurs SSME sous le corps principal et les boosters latéraux feront le gros du travail dans les premières minutes du décollage. Notons que le cargo est séparé de l’équipage dans cette solution et que de nombreux arrimages seront requis pendant la mission. Evidemment, le mélange d’EOR et de LOR, la forme proche d’une capsule Apollo, ou la taille du lanceur lourd cargo proche de la Saturn ne peut nous empêcher de penser aux missions Apollo des années soixante. Définitivement, la solution de facilité semble avoir été choisie et tant mieux pour le succès potentiel de la mission. La mission est possible techniquement et budgétairement maintenant il ne reste plus qu’à s’assurer un soutien politique constant. M. Griffin, administrateur de la NASA, présente le projet comme le plus commode, le moins coûteux et surtout le plus sécurisé.

 

On notera quelques points : le véhicule dédié à l’équipage (CEV) devrait être capable de desservir la Station Spatiale Internationale en emportant, alors, 6 astronautes. Le véhicule cargo est un ‘’Shuttle derivated Vehicle’’, ainsi intègre-t’il un réservoir central identique au STS mais plus long, 5 moteurs SSME, et deux booster latéraux plus puissants (5 joints). Le véhicule dédié à l’équipage (CEV), dérivé d’un accélérateur à poudre SRB d’ATK sera réutilisable, le second étage de ce lanceur sera propulsé par un SSME (ou type J2S ?) afin d’injecter correctement la capsule sur son orbite. Le ‘’Command & Service Vehicle’’ possèdera des panneaux solaires et attendra (en automatique) en orbite autour de la Lune pendant la mission de 7 jours sur le satellite naturel de la Terre. L’alunisseur est encore mal défini selon M. Griffin en conférence de presse et le design reste très conceptuel, ainsi trouve-t’on un design proche du Lander d’Apollo ou du véhicule d’alunissage soviétique des années 60. L’atterrissage sur Terre se fera dans le désert californien près de la base d’Andrews, ce qui est une première pour les américains. L’influence russe a aussi fait son chemin au sein de la NASA. M. Griffin a aussi insisté sur l’utilisation des technologies déployées pour de futures missions vers Mars, il cita par ailleurs dans ce cadre, le lanceur lourd de 125 tonnes (106 tonnes LEO dans une première version), ou les technologies lunaires, ainsi que le CEV de l’équipage de 4 hommes. Néanmoins, nous noterons que le projet ne fait pas état, actuellement, d’installations fixes sur la Lune, ni de développements de structures futures sur cet astre. On peut pourtant évoquer un responsable de la NASA qui parle d’une mission purement américaine sur le Lune qui pourrait se transformer en coopération, une fois établie là haut. Politiquement, il est très concevable d’oublier de parler de structures fixes sur la Lune, en ce temps de restrictions budgétaires, afin d’éviter d’effrayer quelques farouches journalistes ou Hommes politiques. Cependant on peut regretter la justification un peu légère du projet : ‘’ Notre Président nous a fixé des buts’’. Dans la même veine, Keith Cowing de NasaWatch.com montre bien dans son billet du 21 septembre 2005 (NASA’s ESAS’ Rollout : Pretty Spaceships without Social Context) que la justification globale du projet est trop succincte pour convaincre. De plus le même auteur met en exergue la mauvaise gestion de l’annonce par la NASA dans un contexte social et politique très lourd aux USA. Le projet est pourtant décrit comme réaliste par tous les experts puisqu’il ne semble pas nécessiter pas de hausse de budgets. Le projet est estimé à 104 milliards de dollars, ce qui représenterait 55% du coût d’Apollo en dollar constant. L’utilisation de technologies modernes dérivées du Shuttle additionnées aux améliorations électroniques et informatiques, et d’une architecture type Apollo est, au final, assez impressionnante. Au sein de la NSS France, nous ne pouvons que soutenir le projet présenté, féliciter la NASA pour son travail et espérer que les Européens s’intègrent au mieux à la mission en participant directement, ou pas, à ces développements futurs.

 

    Il faut aussi discerner les réactions des différents acteurs politiques américains, car si présenter un projet est une chose, le concrétiser en est une autre. Les médias français et américains ont remarqué que le projet coûtait le même prix que la reconstruction de la ville de la Nouvelle Orléans suite au passage désastreux de l’ouragan Katrina et qu’il n’était pas judicieux de présenter un projet comme celui-ci à un tel moment. La réponse de M. Griffin est sans appel : ‘’Avant tout, je souhaite rappeler que l’alunissage n’est prévu que pour 2018, il y a aura encore des centaines d’ouragans et de désastres naturels jusqu’en 2018(…) mais le programme spatial américain est un investissement à long terme pour le futur, nous devons faire avec les contingences du court terme sans tuer les ambitions du long terme ; lorsque nous avons un ouragan, nous n’arrêtons pas l’Air Force, ni ne supprimons la Navy donc nous n’annulerons pas la NASA.’’. Si la forme n’est pas la plus claire qu’il soit, le contenu des propos tenus par Mike Griffin est finalement assez traditionnel pour l’agence américaine mais quelque peu hors de propos politiques. Alors que certaines sources font état d’un éventuel ‘’extra’’ budgétaire à fournir pour accomplir le projet (4,8 milliards de dollars avant 2010), Mike Griffin tint à insister sur le fait que le projet restait dans la droite ligne budgétaire autorisée par le Congrès et la Maison Blanche, si le budget NASA reste constant. Pourtant, on peut souligner le fait que la NASA n’a pas demandé des fonds supplémentaires à l’Office of Management & Budget (OMB) pour le projet spatial, ici, décrit mais semble l’avoir fait pour Hubble, Return To Flight (RTF) et l’ISS. Notons que le budget de la NASA de 16,4 milliards de dollar est en hausse pour l’année 2005. Enfin, lors des séances de questions par les journalistes, remarquons que Mike Griffin n’a pas pu répondre à une journaliste de l’AP lui posant la question de la date de l’atterrissage sur Mars. Est ce que la date de 2030, évoquée en janvier 2004, serait toujours à l’ordre du jour ? Par ailleurs, les journalistes firent état de différences de vision concernant les financements du projet entre l’OMB et la NASA, ainsi que du problème du creux entre 2010 et 2012 pour les lancements vers l’ISS. Le problème du ‘’gap’’ entre la fin des navettes et le début du CEV ne semble pas faire peur à Mike Griffin qui parle de coopérations avec les russes (Klipper sera censé être prêt pour 2010-2014 …).

 

    Enfin nous pourrions rappeler les autres réactions notamment d’une partie de la communauté scientifique qui s’exprimait, un peu hâtivement, pour signaler que ce projet était un ‘’projet de pur marketing’’ digne de la NASA avec l’intervention de l’astrophysicien James Lequeux sur la radio Europe 1 le 20 septembre. Notons (et ceci est l’opinion seule de l’auteur de ces lignes) qu’un grand nombre d’acteurs de cette communauté scientifique a un coté très conservateur et profondément corporatiste dès qu’il s’agit de parler politique spatiale. Les aspects économiques, visionnaires, stratégiques, politiques, ou même scientifiques indirects (pensons aux retombées scientifiques des missions lunaires des années 60…) les dépassent complètement. Insistons aussi que la NASA, ces derniers jours a communiqué que la Science et l’aéronautique au sein de l’agence ne seront aucunement déshabillées pour habiller les vols habités (1/3 du budget) : ‘’par un dîme ne sera supprimé à la Science’’ disait Mike Griffin. S’il est vrai que l’affaire STS 114 a provoqué de nombreux questionnements et doutes parmi les acteurs du spatial, et s’il est exact que les USA envisagent une Station Spatiale réduite à 16 missions (au lieu de 28), il ne s’agit pas de tirer sur un projet à peine monté. Ces derniers temps, la NASA a pu montrer, dans un certain sens, qu’elle avait mal su gérer le programme navette et le retour en vol de ces dernières (fin 2006 est désormais évoqué à Washington DC !), nous espérons qu’elle saura administrer un projet qui remet les cartes sur tables et repart presque à zéro. Lorsque l’on est leader sur un secteur, on se doit d’assumer sa position et respecter ses engagements : ce qui risque de ne pas être le cas pour la Station Spatiale internationale. Alors que les nombreux spécialistes du spatial disent du CEV que c’est ‘’véhicule simple et autoéquilibré’’ (Le Monde - M. Augereau), les mauvaises langues commencent à parler d’un mauvais timing pour l’annonce du projet (Katrina, Rita, la guerre en Irak…) et certains hommes politiques américains évoquent l’annulation purement et simplement de la mission.

 

    Coté politique américain, l’annonce de l’ESAS a troublé les hommes du sérail au Congrès. Alors que les Etats-Unis, et l’administration républicaine américaine sont sous le coup des critiques pour l’affaire de Katrina, les remous politiques autour de la NASA, de l’OMB ou même de la Maison Blanche risquent d’être fatals au projet. Ainsi le 21 septembre 2005, le New York Times annonçait que des Républicains conservateurs de la House travaillaient sur un projet (Opération Offset) qui vise à compenser les coûts de reconstruction dus à l’ouragan Katrina. Ces représentants ont établi mardi 20 septembre une liste de programmes fédéraux à supprimer, retarder ou annuler en vue de gagner 500 milliards de dollars sur 10 ans. Outre la nouvelle prescription de médicament couvert par le Médicare pour l’année prochaine (31 milliards de dollars : Medicare Prescription Drug Benefit), l’effort d’entretien des transport prévu pour l’année prochaine, notamment à Houston (25 milliards de dollars) à supprimer ; le projet de la NASA, annoncé lundi, pourrait être lui aussi supprimé, purement et simplement, si les conseils de ce groupe de travail Républicain (représentants des intérêts d’avocats du sud des USA) étaient suivis : ceci permettrait de gagner 44 milliards de dollars selon le rapport. Dans le même genre, ils envisagent aussi de faire payer le parking aux voitures des employés fédéraux pour gagner 1,5 milliards de dollars. Au sein de cette même majorité républicaine au Congrès, M. Tom DeLay (Rep. Texas) fit paraître un communiqué de presse s’opposant à cette manœuvre structurel de son propre parti. L’opération Offset tend aussi à démontrer politiquement que les républicains peuvent trouver les ressources financières pour assurer la reconstruction sans lever de nouvelles taxes. Des sources proches de l’OMB veulent dans le même temps calmer le jeu, en rappelant que rien n’est décidé et que ce n’est qu’un groupe de travail d’avocats en charge de la reconstruction qui ne font que proposer des solutions aux représentants Républicains. Si politiquement, il serait difficile de revenir sur une partie du Medicare ou sur les transports (intérêt républicains immédiats, notamment dans le sud des Etats-Unis de Tom DeLay), le plan spatial de la NASA peut sauter beaucoup plus facilement. Si le sénateur Kay Hutchinson (Rep. Texas – Président du Commerce Subcommittee on Science and Space) a applaudi l’annonce de l’ESAS par la NASA, le sénateur républicain New Yorkais Sherwood Boehlert (président la House Science Committee) insista sur le fait que le Congrès ne pouvait pas augmenter les fonds alloués au programme CEV tant que l’Administration et le Congrès n’avaient pas décidé si une levée de fonds supplémentaires était réellement nécessaire (du en partie à cause du programme RTF). Le Représentant Républicain Ken Calvert de Californie (Co-Président du Space and Aeronautics Subcommittee on the House Science Committee) souligna le fait que la conquête spatiale se faisait dans le cadre dynamique de la concurrence internationale et cita les ambitions chinoises en la matière. M. Calvert ajouta aussi qu’il ne pensait pas que le coût soit prohibitif et que l’exploration de l’Espace est un investissement dans l’économie et l’Education américaine. Vous l’avez compris, dès qu’il s’agit de parler de budgets, les décideurs politiques prennent des gants et souhaitent rester dans le cadre de l’accord tacite entre l’OMB, la NASA et la Maison Blanche concernant l’évolution du budget de l’agence.

 

    Pour conclure cet édito, il faudra insister sur la nécessité absolue d’un soutien politique fort de la part de la majorité au Congrès si le projet veut aboutir. Les risques sont plus grands que jamais d’autant plus que le contexte de la Louisiane rend la situation politique pour cette majorité très périlleuse dans la perspective des élections de mi-mandat du Congrès prévues pour l’année prochaine. Le faux pas politique guette donc le projet. Notons aussi que les aspects scientifiques n’ont pas, ou peu, été traités dans cette architecture-type et qu’un effort de communication serait le bienvenu si la NASA veut faire taire les mauvaises langues qui parlent de ‘’brochure touristique’’ à propos du rapport de l‘ESAS. Le zoom excessif du projet sur la Lune peut aussi être à déplorer dans la perspective de la conquête de Mars. Si l’approche technique est minimaliste mais suffisante pour faire démarrer le projet dans des conditions financières correctes, il faudra définir au mieux les projets à long terme, et exprimer politiquement les raisons d’installer des Hommes sur la Lune ou de lancer des missions d’exploration vers Mars. La justification politique du projet est à l’heure actuelle nulle et il faudra trouver une parade à ce défaut de naissance. Le coté ‘’Glam’’’ du CEV ou du ‘’Moon Lander’’ ne suffira pas justifier très longtemps 104 milliards de dollars… Le jeu politique washingtonien risques de tourner au jeu de massacre dans le prochains mois pour l’administration Bush si les raisons de retourner sur la Lune ne sont pas exprimées plus clairement ; si tel n’est pas le cas, le projet tombera, à coup sur, à l’eau. Le problème irakien, venant s’ajouter à la mauvaise gestion de l’ouragan Katrina, les difficultés de la NASA à gérer le Retour en vol de la navette, ou de la suppression, même temporaire, de certaines aides comme des pans entiers du Medicare vont poser de sérieux problèmes électoraux aux Républicains aux élections de mi-mandat de 2006. Politiquement il faut donc rapidement justifier l’ESAS et le projet d’exploration spatiale auprès du peuple américain : un gros travail de communication politique sérieux doit être débuté dès aujourd’hui. Face à cette situation américaine, à nouveau instable, l’Europe doit trouver une solution convenable afin de définir sa posture notamment sur des sujets comme l’ISS ou l’exploration.

 

Nous payons désormais, au prix fort, le prix de notre dépendance spatiale avec Etats-Unis avec le retard des vols navettes (premières missions vers l’ISS, début 2007 ?) et les problèmes de livraisons pour l’ISS : 16 au lieu de 28 pour la compléter… Le prochain conseil ministériel de l’ESA devra émettre des propositions concrètes et rapides pour solutionner cette dépendance qui est préjudiciable à nos travaux scientifiques. Alors que les enjeux stratégiques entre les USA et l’Europe voient le jour régulièrement, nous pensons qu’il pourrait être utile de proposer, par exemple, un plan commun avec les russes et les européens volontaires de finalisation de l’ISS, de proposer une coopération critique avec les Américains dans la perspective de la Lune en 2018 ou de proposer l’établissement rapide d’un groupe de travail au sein de l’ESA qui réfléchisse à l’opportunité qui nous est présentée de profiter de la situation US afin d’avancer ses pions sur l’échiquier spatial. Politiquement, profiter d’une situation n’a rien de choquant, mais l’intérêt direct de l’Europe spatiale peut ici se jouer facilement et se justifier encore plus. Si comme Patrick Baudry sur LCI, mercredi 21 septembre (Question d’Actu de Jean-François Rabilloud), nous pensons que ‘’l’Europe a le savoir faire technique et les capacité financières pour aller sur la lune, il manque l’autorité politique pour accomplir la mission’’, un travail politique au niveau européen doit être fait. Toujours dans cette émission, Patrick Baudry, reprenant l’exemple de Jean-François Clervoy, compara la politique spatiale US à l’européenne en mettant en valeur le choix politique et stratégique fait par les Etats-Unis : alors que les citoyens américains mettent l’équivalent de 25$ par an dans les vols habités, les Européens ne mettent que 1,5$, c’est donc bien selon Patrick Baudry, ‘’un choix politique qui fit devenir, en partie, les Etats-Unis, la première puissance au monde’’. L’Europe a tout à gagner à s’insérer judicieusement dans ce jeu stratégique spatial. Il faudra aussi lors du prochain conseil ministériel débattre sérieusement et concrètement pour adapter la posture européenne face à la situation américaine. Nous l’avons déjà dit : l’heure des choix a sonné et il est temps de passer aux choses concrètes pour l’Europe spatiale. L’autorité politique manque en Europe et la gouvernance politique d’un programme comme celui-ci est la clé du succès de ce genre de projet, c’est bien ici la faiblesse européenne qu’il faut pallier rapidement. A nouveau une bonne dose de courage politique sera requise !

 

Nicolas Turcat
Président de la NSS France.

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