Réalisme et coopération spatiale
Le 21 Juin dernier, sest tenu à Washington DC, organisé par John Logsdon, dans les locaux de la Elliott School of International Affairs à la George Washington University, un symposium sur la coopération internationale et lexploration spatiale. Cette conférence de deux jours réunissait des personnalités comme John Marburger, conseiller de George Bush, Pete Aldridge, Christian Cabal du GPE, Jacques Blamont, Louis Friedman de la Planetary Society, Jack Metthey de la Commission Européenne, Daniel Sacotte de lexploration spatiale à lESA, des capitaines dindustries spatiales comme Joël Barre, Hervé Guillou, Chuck Allen de Boeing, et des responsables dagences comme Gerard Brachet (ex-cnes), Stéphane Janichewski, M. Favier du CNES, ou Jean-Paul Poncelet de lESA. Lintérêt principal de ce genre de réunion était de confronter les opinions sur un sujet hautement dactualité. Nous avons déjà abordé à travers les derniers textes parus sur notre site Internet les idées qui furent exprimées lors de cette conférence. En dépit de ce fait, il faut reprendre les quelques idées forces qui ont été émises et prendre position.
Avant tout, il sagit de mettre en avant, à nouveau la différence sémantique de compréhension du terme exploration entre Etats-Unis et les Européens. Que lon considère comme M. Sabathier du CNES (bureau Washington DC) que les vols habités ne sont pas une priorité de lEurope et quils ne le deviendront pas ou comme certains membres des agences nationale de notre continent (nous pensons ici à la position anti-espace habité de M. Schrogl de la DLR ou dans une moindre mesure lopinion de M. Sacotte à lESA qui nous fait passer Rosetta ou Smart-1 pour de lexploration nouvelle ) qui sont en décalage complet sur la définition même de ce qui faut faire comme exploration dans un cadre européen : la situation reste la même : les américains sont venus à cette réunion avec des propositions concrètes et une réelle volonté de faire progresser les choses peut-être même saccaparer le projet - les européens, eux, dans leur grandes majorité, ont à nouveau tergiversé.
Il est tout à fait louable de discuter des modalités de la future coopération. Il faudra le faire mais ne devrions nous pas nous engager dans un programme spatial dexploration concret au niveau européen ? Et si nous nen avons pas les moyens (ce que certains aux CNES, DLR ou à lESA essaient de nous faire croire), pourquoi ne pas souscrire à loffre américaine plus rapidement ? Coopère ton vraiment du fort au faible ? Sommes nous vraiment en position pour discuter des modalités de notre souscription à ce projet ? Sinon en tant que partenaires crédibles, quavons-nous à proposer ? Autant de questions qui auraient mérité dêtre posées ! Du coté américain, il est évident que ces derniers veulent garder la direction du programme MMI et imposé leur propre cheminement (modèle du F-35/JSF) puis étudier la part à internationaliser afin de louvrir à la coopération une perspective qui ne plait absolument pas aux Européens mais peut-on leur reprocher vraiment ce travers, en sachant quen face deux il ne se trouve aucune force de proposition ? Alors quoi quen dise Messieurs Logsdon et Dupas dans lAviation Week and Space Technology du 5 Juillet 2004 (page 70), ou Christian Cabal dans Space News du 12 Juillet 2004, la réalité rattrape les belles intentions : les européens, à part les quelques schémas-type de coopération proposés (et pour lesquels nous sommes, parfois, daccord comme lidée dautonomie partagée de M. Favier du CNES), nont rien a proposer de très novateur depuis Aurora. Les américains, entre temps, ont su se remettre en question, bâtir idéologiquement MMI, poussé politiquement pour un soutien, un véritable débat sen suivit et des propositions concrètes industrielles commenceront à poindre dici peu. La réalité est cruelle mais nous rappelons à nos lecteurs le compte rendu édifiant de Christian Lardier dans Air et Cosmos N° 1942 à propos du conseil de lESA et le quasi non-financement dAurora (14 millions au lieu 40 millions deuros !) : ceci est la réalité européenne. Comme association citoyenne notre rôle est, bien entendu, de soutenir ce genre de programme (Aurora/Inspiration) mais il sagit dêtre lucide et de sapercevoir que pour rendre le programme MMI sustainable and affordable (durablement et le rendre possible) il faudra sengager concrètement dans des programmes comme Aurora ou Inspiration, les financer et les finir et pas seulement parler dans des réunions pour refuser toutes les propositions faites. Nous ne sommes plus en position davoir ce comportement.
En réalité il existe deux scénarios de sortie possibles : soit accepter les propositions américaines et les discuter au minimum car nous ne sommes pas en position de le faire, soit sengager, et cest la position de la NSS France, dans un programme spatial dexploration habitée ambitieux dans un premier temps de manière autonome pour ouvrir à moyen terme lexploration à la coopération avec nos partenaires américains, russes ou chinois. Maintenant la position actuelle européenne qui consiste à refuser le schéma du JSF et proposer une coopération dEtat à Etat, alors même que nos Etats ou lEurope- est incapable de sentendre à travers le vecteur commun quest lESA est en réalité utopique. Le JSF nest sûrement pas le modèle idéal mais la coopération dEtat à Etat, lest encore moins dans le contexte actuel ! Et je le répète pour une meilleure compréhension : dans le contexte actuel. LISS, ou le Spacelab en sont les exemples les plus flagrants ! Tout en sachant que lEtat européen ne sera pas mûr avant au moins dix ans selon un des architectes de lactuelle Constitution européenne : Valérie Giscard dEstaing. Nous sommes à nouveau dans la position du donneur de leçon inefficace et passive. John Logsdon à la fin de la conférence conclut par cette phrase quau moins le débat était lancé mais quil navait pas progressé comme il avait voulu ou comme il aurait pu sattendre lors de ce symposium. Evidemment, dans un monde idéal lexploration spatiale serait une activité partagée et globale. Mais que Messieurs Logsdon et Dupas ne sattendent pas à ce que cela advienne : nos space leaders sont trop emprunts de réalisme et de concret pour se préoccuper de ce genre de prérogative. Alors réclamer comme dans lAWST du 5 juillet 2004, une exploration spatiale emprunte de coopération et dengagement commun risque de rendre la donne encore plus complexe quelle ne létait avant ! Nous ne sommes pas dans un monde merveilleux et nous ne lavons jamais été. Aucune exploration rentable ne sest faite conjointement dans un esprit de découverte pure dans une perspective dévolution de lespèce humaine. La NSS France soutient, bien entendu, ces idées sous-tendant lidée de spacefaring civilization mais lexploration doit faire place à lexploitation et à lextension des activités de lHomme dans lEspace : les belles idées sévaporeront alors aussi vite quelles ont été émises. Mais il y a certaines réalités situées au niveau du champ politique, diplomatique, stratégique et surtout commerciale qui nous fait croire que seule une politique spatiale autonome dans un premier temps, permettant dinsuffler leffort nécessaire au niveau décrit précédemment, pourra être abordée comme une vraie perspective davenir. Les Européens, lors de ce symposium, globalement nont pas proposé de programmes, ni de propositions concrètes de coopération à lencontre des américains : ils écoutèrent, débattirent puis refusèrent sans rien proposer ! Le trait est volontairement caricatural mais assez proche de ce qui sest passé : il y eut beaucoup de désaccords entre les européens (position de la DLR sur Aurora faisant enrager lESA, la position très tranchée de M. Blamont) et peu de décision. Les mauvaises langues vous diraient que ce nétait ni le lieu ni le moment à la veille dun conseil de lESA très mitigé pour lexploration. Il est tout de même assez paradoxal dentendre dire M. Janichewski parler defficacité en promettant des initiatives à venir tout en contemplant les programmes concrets de cette agence. Permettez moi de penser à nouveau que la Vision de M. DEscatha ou même Bensousan est sûrement moins ambitieuse que messieurs D'Aubinière, Auger, Coulomb, Bignier, Sillard, Pellat, D'allest ou même Brachet. Actuellement en Europe, et particulièrement en France, on attend toujours que lautre ait commencé à faire quelque chose, ou que ce quelque chose ait fait ses preuves, pour ensuite étudier nos possibles implications dans ce projet. Honteusement passif. Quant à croire que lon puisse dès le départ tabler sur une coopération dEtat à Etat comme le souhaiteraient globalement les Européens, ou messieurs Logsdon et Dupas, ou inscrire dès le début MMI dans une perspective internationale serait faire preuve dune faiblesse politique majeure pour lEurope. A moins dune révolution culturelle majeure, aucun Etat politique européen nest prêt à soutenir, avec la conviction américaine, une initiative dexploration spatiale aussi ambitieuse. Cest sur ce plan là que la NSS France travaille tous les jours et émet des propositions : la vraie naïveté se situe ici : croire que les américains nous offriront un programme déjà bâti et où, nous, européens pourrions choisir les modalités de coopération ainsi que les prérogatives qui iront avec : le beurre, largent du beurre et la crémière ...
La NSS France eut laudace de faire des propositions, de réagir à lactualité et surtout démettre des idées. Ce travail est si peu fait en Europe et sil était, nous aurions un programme engagé concret qui soccuperait à bâtir une infrastructure spatiale européenne efficiente. Le symposium nous a montré à nouveau à quel point il fallait faire des propositions politiques pour lEurope et à quel point il devenait urgent de bâtir une vraie politique spatiale. Létude de Goldman Sachs parue lannée dernière et citée comme preuve dans larticle de messieurs Dupas et Logsdon ne peut sappliquer comme cadre à de futures décisions politiques ! bien au contraire, une attitude politique consisterait à dire : faisons mentir cette étude et faisons tout notre possible pour changer cette donnée qui semble immuable. De plus notons que cette étude ne tient pas compte de linnovation réelle investie comme lextension de lHommes dans lespace qui pourrait rapporter gros et faire à nouveau démystifier cette étude. Ne plions pas nos politiques spatiales pour les faire rentrer dans le cadre détudes économiques parfois trop linéaires. La volonté politique veut que nous ayons plus à proposer quune vision encadrée par des contingences aussi légères que la prospective macroéconomique. La volonté politique édifie lavenir et non linverse. Il y a donc des priorités qui font quil faut sengager dans un programme spatial ambitieux et soutenu fortement par les politique de notre continent. Un certain réalisme nous fait donc croire que la coopération à très court terme avec les Etats-Unis risque de nous perdre dans une passivité immuable et dans une faiblesse politique dommageable pour lavenir de notre entité politique.
Nous reviendrons sur le modèle du JSF/F-35 et la position européenne politique exprimée récemment dans Space News pour très bientot.